TRADUCTION ET COMMUNICATION
INTRODUCTION
Les rapports qui existent entre la traduction et la communication sont à chercher dans la conception « interprétativiste » de la traduction appréhendée comme un acte de communication. En effet, lorsque l’on communique ou que l’on traduit, la direction et l’orientation que prend le message véhiculé obéissent et s’adaptent à une fonction essentielle du langage.
D'après Roman Jakobson1, « le langage doit être étudié dans toutes ses fonctions ». C'est-à-dire que le linguiste doit s'attacher à comprendre à quoi sert le langage, et s'il sert à plusieurs choses. « Pour donner une idée de ses fonctions, un aperçu sommaire portant sur les facteurs constitutifs de tout procès linguistique, de tout acte de communication verbale, est nécessaire ». Les voici:
- Le message lui-même ;
- « Le destinateur envoie un message au destinataire » ;
- Le destinataire est censé recevoir le message ;
- « Pour être opérant, le message requiert d'abord un contexte auquel il renvoie (c'est ce qu'on appelle aussi, dans une terminologie quelque peu ambiguë, le "référent"2), contexte saisissable par le destinataire3, et qui est soit verbal, soit susceptible d'être verbalisé » ;
- « le message requiert un code, commun, en tout ou au moins en partie, au destinateur et au destinataire (ou, en d'autres termes, à l'encodeur et au décodeur du message) » ;
- « le message requiert un contact, un canal physique et une connexion psychologique entre le destinateur et le destinataire, contact qui leur permet d'établir et de maintenir la communication ».
Les six fonctions de la communication telles que les identifie Roman Jakobson sont chacune liées à un de ces éléments.
Les fonctions du langage sont les suivantes :
- fonction expressive (expression des sentiments du locuteur)
- fonction conative (fonction relative au récepteur)
- fonction phatique (mise en place et maintien de la communication)
- fonction référentielle (le message renvoie au monde extérieur)
- fonction métalinguistique (le code lui-même devient objet du message)
- fonction poétique (la forme du texte devient l'essentiel du message)
Il considère d'ailleurs que ces fonctions « ne s'excluent pas les unes les autres, mais que souvent elles se superposent ». Le langage peut ainsi servir à plusieurs choses à la fois : maintenir le contact (fonction phatique) tout en prenant pour objet le code du message (fonction métalinguistique), par exemple, dans as-tu entendu ce que je t'ai dit ?.
1. Les fonctions communicatives de Jakobson (1963)
Elles sont au nombre de six et renvoient chacune à une réalité ou un aspect de la communication
I.1. La fonction référentielle
Elle est aussi appelée fonction de communication puisqu’elle englobe toutes les autres ; la fonction référentielle permet de situer de qui, de quoi, dans quel contexte on parle.
Cette fonction du message est centrée sur le monde (un objet ou un évènement extérieur) : le contexte ou référent.
Le référent d'une communication peut être par exemple la table qui se trouve dans l’environnement des interlocuteurs (dans le même « contexte »), ou alors une culture, un pays.
C'est une fonction extrêmement utilisée puisque la plupart des discussions et des textes dans le monde contiennent une information.
Cette fonction décrit une réalité objective.
La fonction référentielle oriente la communication vers ce dont l'émetteur parle, vers le sujet, vers des faits objectifs, à savoir les référents (personnes, objets, phénomènes, etc.,) sans lesquels il n'y aurait pas de communication possible.
Cette fonction englobe les informations objectives que véhicule le message.
I.2 La fonction expressive ou émotive
Elle permet de centrer le message sur le destinateur en mettant en relief la personnalité de ce dernier ou tout simplement des éléments spécifiques à son idiosyncrasie et qui sont susceptibles de renseigner sur les motivations principales de son message.
I.3 La fonction conative
Le message est centré sur le destinataire du message.
Ex : Jeunes bacheliers qui rêvez d’un brillant parcours universitaire, ne cherchez plus loin…
Elle est utilisée par l'émetteur pour que le récepteur agisse sur lui-même et s'influence. C'est évidemment une fonction privilégiée par la publicité.
Cette fonction trouve son expression grammaticale la plus pure dans le vocatif et l'impératif.
Cet aspect est lié à une autre approche, la théorie des actes de langage. Des formes grammaticales comme le vocatif ou l'impératif permettent l'instanciation de cette fonction, de la même manière que les verbes dits performatifs comme « demander », « affirmer », « proposer »...
I.4 La fonction phatique
Elle sert à s’assurer que le contact est permanent entre le destinateur et le destinataire (il permet de s’assurer qu’il vous suit)
Ex. : « Allô »; « Votre attention s’il vous plaît » ;
I.5 La fonction métalinguistique
Elle est centrée sur le code ; c’est la langue qui explique la langue
Ex. : « Est-ce que je me fais comprendre » ; « C’est-à-dire » ; « Je veux dire… » ; « Ne dites pas mais dites plutôt … ».
I.6. La fonction poétique
Le message n’assume pas qu’une fonction communicative. Il est porteur d’une réalité stylistique et peut jouer un rôle de surface c’est-à-dire n’intervenant que sur la forme
Ex. : « Le nez de Cléopâtre, s’il eût était plus court, toute la face de la terre aurait changé. » ¡Conténtense con estar contento que no se maree frente al mar!
2. La traduction, un acte de communication
Lorsque l’on aborde un énoncé à des fins traductionnelles, l’objectif premier du traducteur doit consister en l’analyse de celui-ci à l’aune de sa fonction première ; communiquer un message.
En général, les énoncés publicitaires sont traduits en recourant à l’une des six fonctions du langage.
En effet, la traduction, au même titre que la communication, ne se limite pas à transcoder des mots mais plutôt à en transmettre le sens, de façon à faire comprendre dans une langue B ce qui est dit ou voulu dans une langue A. C’est justement à ce niveau qu’intervient la spécificité du traducere par rapport au communicare. Si dans la communication il s’agit d’unir, de mettre en contact deux bouts, au moyen d’un canal parfois multiforme, dans la traduction, la chaîne devient un peu plus complexe avec l’introduction (peut-être même l’intrusion) d’un nouvel élément, souvent imprévu : le traducteur !
Avec la présence de ce ‘‘troisième larron’’, l’acte de communication ne sera plus qu’une affaire deux sujets, émetteur et récepteur.
- Une version traductologique du schéma de Jakobson
En reprenant le schéma de Jakobson, par exemple, on se rendra compte qu’une incision du sujet traducteur dans la chaîne, même si elle ne bouleverse point la continuité de celle-ci, la complexifie tout de même, et, par conséquent contribuera à renforcer la fausse idée d’une communication objective. On verra dans les chapitres suivants comment le traducteur, de par sa position dans le processus, va passer outre, de façon consciente ou inconsciente, son rôle classique de ‘‘passeur’’ pour s’ériger en co-auteur (Ladmiral, 1994, p.VIII) d’un texte dont il appréhende parfois mal les circonstances cognitives de production originale. Cette position double va être certainement décisive dans l’appréhension objective de l’intention du texte.
Figure 1 : Une version traductologique du schéma de Jakobson
On constate dans cette chaîne que le maillon message, supplanté par le traducteur, se retrouve éclaté et marque de ce fait trois occurrences plus ou moins implicites: le message du destinateur (ou auteur), échu entre les mains du traducteur, qui à son tour, après traduction, le retransmet au destinataire final.
La troisième occurrence du terme message va être, ultérieurement, révélatrice du rôle dynamique du récepteur final sur la teneur sémantique du texte traduit. Que nous l’appelions message (théorie linguistique) ici ou vouloir-dire (théorie interprétative) ailleurs, le sens que revêt tout discours, écrit ou oral, traverse ainsi nécessairement des étapes interprétatives qui s’avèrent assez souvent transformationnelles !
Ainsi, au risque de complexifier davantage cette représentation schématique, on notera tout de même que, en plus de la présence du sujet traducteur, le canal de circulation de l’information change logiquement ; il ne s’agit plus , en fait, d’un canal établi de façon ponctuelle dans une situation de communication unidirectionnelle ou bidirectionnelle, comme l’entend Jakobson, mais plutôt d’un processus assez long avec un certain décalé spatio-temporel entre l’émission de l’information et sa réception, par un destinataire le plus souvent imprévu. Cette particularité opérationnelle de la traduction ne lui retire pas pour autant sa fonction essentielle d’acte de communication, du moins au regard de l’objectif final : transmettre une information, peu importe comment !
Par ailleurs il ne serait pas exagéré de parler de sur-communication, dans ce cas, dans la mesure où celle-ci se fonde, comme énoncé dans l’introduction, sur un autre acte de communication. Au demeurant, on soulignera un fait quasi absolu : traduction et communication, bien que reposant sur un dénominateur commun, ne présentent pas, de par la composition actancielle propre à chacune, les mêmes enjeux dans le traitement ou l’acheminement de l’information. C’est certainement dans cette perspective que J.-J. Lecercle (1999), reprenant Walter Benjamin, soutient: The aim of translation is not to communicate a meaning, but to establish a “life correlation” between two texts.[1]. Cette assertion, bien que réductrice de l’objet de la traduction, a tout de même le mérite de relever une caractéristique non négligeable de l’opération traduisante : unir deux textes dans une relation de subséquence, en vue d’en assurer une certaine immortalité ; et cela, en clair, est moins le rôle de l’auteur et du lecteur que du traducteur.
[1] Le but de la traduction ne consiste pas à communiquer un message, mais plutôt à établir une corrélation permanente entre deux textes, p.19 (Notre traduction).